Cépages, appellations, gardes-vignes et bans de vendanges : le législateur dans les vignes

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(Ban de vendanges de 1210 – AMB, Carton 6 cote 16)

LE BAN DE VENDANGES

Les archives municipales de BEAUNE conservent dans leurs fonds l’un de leurs plus vieux parchemins en latin : il s’agit d’une donation de privilège, le ban des vendanges.
Ce droit à fixer le premier jour de la récolte, le ban des vendanges, a en effet été cédé à la ville par Eudes III, duc de Bourgogne, en septembre 1210 .

Durant toute la période féodale et jusqu’à la Révolution, une réglementation s’est appliquée quant à la fixation du ban de vendange. Le premier texte connu en Bourgogne est une charte du duc Eudes III datée de 1187. On en trouve également la trace à Beaune, dès 1203, dans la charte de franchise stipulant que le duc se réserve l’amende de l’infraction au ban de vendanges .
La date du ban est fixée par le Conseil de Ville après que des échevins et des prudhommes se soient transportés dans les vignes pour constater l’état de maturité du raisin . Dès lors, des gardes-vignes, équivalents des gardes-champêtres, surveillent qu’aucun vol de raisin ou dégradation de vignes ne soit commis.
Le seigneur a le droit de vendanger un ou plusieurs jours avant ses vassaux. A Beaune, la Châtellenie de Beaune Pommard et Volnay dispose du même privilège jusqu’au XVIIIe siècle : un arrêt du Parlement du 16 mars 1752 maintient en effet M. Ganiare de la Mothe dans son droit de vendanger son fief de la Mothe (à Gigny, hameau de Beaune) « le jour des privilégiés », et défend aux habitants de vendanger ce jour là .
Cependant, les vignes closes de murs sont exemptes du ban de vendanges.

A la Révolution, le décret du 28 sept.-6 oct. 1791 ne supprime pas totalement le ban comme un simple privilège mais le délègue au choix des communes : c’est ainsi qu’il est maintenu de façon inégale en Bourgogne durant tout le XIXe siècle. Certaines communes préfèrent s’en dispenser, comme Volnay qui n’a plus de ban à partir de 1865 . Il est généralement suspendu en période de guerre ou de grande calamité climatique.

Au XXe siècle, la préfecture autorise à vendanger plus tard que la date officielle et prévoit aussi des dérogations pour récolter avant. Toutefois, la détermination du ban de vendanges fait l’objet d’un arrêté préfectoral sur proposition de l’Institut National des Appellations d’Origine (INAO), après avis des syndicats viticoles. Jusqu’en 2006, c’est le respect de cette date qui détermine le droit à l’appellation d’origine .
Depuis 2007, fait nouveau, les autorités préfectorales donnent une date unique pour l’ensemble des vignobles du département de la Côte d’Or, tant en Châtillonnais que pour la Côte, laissant le soin à chaque récoltant de définir la meilleure date de maturité. C’est donc la fin d’une disposition vieille de plus de 800 ans.


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(Ban de vendanges de 1808 – AMB, I I § 17 Art 1, N°1)

UN OUTIL PRECIEUX ENTRE LES MAINS DES CLIMATOLOGUES

En effet, la date des vendanges est fixée en fonction de l’état de maturation parfaite du raisin. Or, celle-ci dépend étroitement de la météorologie de l’année écoulée. De nombreux cahiers journaliers de propriétaires viticoles et de vignerons relèvent très scrupuleusement les données météorologiques : direction et force des vents, température, nébulosité, gelée ou sécheresse. Ils notent aussi la date de la floraison du lis, qui est un indicateur, ainsi que celle de la vigne, qui en général précède la vendange d’une centaine de jours. A Beaune au XVIIIe siècle, les cahiers de Pierre Parizot, gentilhomme propriétaire de vignes, en sont un excellent exemple . Emmanuel Leroy-Ladurie et Pierre Pagney ont utilisé la date des bans de vendanges pour déterminer les variations climatiques au cours des siècles passés.


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(Extrait de l’ordonnance de Philippe Le Hardi – AMB, carton 94 cote 7)

LA RECHERCHE DE L’EXCELLENCE

Déjà au début du VIe siècle, la Loi des Burgondes, par sa Constitution 31 , punit les plantations frauduleuses de vignes sur les terres communes et chemins. Il ne s’agit alors que de maîtriser l’extension d’une culture très productive de richesses, et de la protéger aussi : les vignobles sont surveillés jour et nuit par des gardiens (custodes vineae) pour éviter les vols et dégradations, notamment les dégâts provoqués par le bétail en libre pâture.

Au Moyen-Age, la Bourgogne qui compte déjà des crus appréciés jusqu’à la table royale, s’émeut de voir les plants « grossiers », comme le gamay, très productif mais acide et de faible qualité, supplanter les pinots noirs ou « noiriens ». L’ordonnance de Philippe le Hardi, en 1395, répond à la supplique des habitants de Dijon, Beaune et Chalon en interdisant aux particuliers de planter des gamays dans leurs vignes, et en commandant de couper et arracher tous les pieds déjà plantés. Dans le même souci de qualité, on voit les moines de Suresnes venir jusqu’à Meursault acheter leurs plants de chardonnay.

Cependant, le XVIIIe et le XIXe siècles, moins exigeants sur la qualité, laissent libre cours aux surfaces de plants « grossiers » qui procurent aux vignerons un meilleur revenu, aux dépens même des cultures vivrières. De plus, les fraudes sur la nature et la fabrication des vins, ajoutées aux pratiques des coupages, c’est-à-dire des mélanges de vins de plusieurs origines, font du vin un sujet de suspicion pour la santé publique.

Le gouvernement est contraint, par la loi du 1er août 1905, d’instaurer une véritable protection des appellations d’origine. Mais c’est le décret-loi du 30 juillet 1935 qui crée les appellations d’origine contrôlée et en définit les critères : aire de production, cépage, degré, procédés de culture et de vinification. Le Comité national des appellations d’origine est créé, qui deviendra en 1947 l’INAO, Institut national des appellations d’origine .