Judex, le justicier masqué et bâillonné : La censure cinématographique à Beaune durant la grande Guerre (1916-1917)

Le 26 décembre 1916, le conseil municipal de Beaune prend une décision radicale concernant la diffusion de certains films dans les salles de cinéma beaunoises. Le registre de délibérations nous apprend en effet ceci : « Le conseil est d’avis de faire cesser la représentation des films policiers ou de drames susceptibles d’apprendre aux spectateurs l’art de commettre un vol, un crime ou toute mauvaise action. Il estime que les exploits de nos soldats sont assez nombreux et assez admirables pour qu’il ne soit pas besoin de recourir à des représentations de films pouvant pervertir la jeunesse française ». Dans le contexte de la première guerre mondiale la notion d’exemple semble énormément compter. Nos soldats sont le bon exemple, les films quant à eux, corrompent la jeunesse et les incitent à commettre des crimes.

Dans ce contexte de censure, plusieurs films sont dans la ligne de mire du conseil municipal, et du maire, Jacques Vincent. Citons notamment : Le Masque aux dents blanches, Les Exploits d’Elaine et Les Mystères de New-York. Arrêtons-nous un moment sur un film en particulier qui fera l’objet de nombreuses interrogations.

Judex est un film muet de 1917 de Louis Feuillade comprenant 12 épisodes. Nous pouvons dire qu’il fait partie des premiers films de « super-héros ». L’intrigue met en scène un justicier en cape noire, Judex.
Le film est très vite frappé par l’interdiction du conseil municipal. Le Journal de Beaune, dans son édition du 13 février 1917, rapporte que la municipalité a prononcé l’interdiction des Mystères de New-York, du Masque aux dents blanches et de Judex. Il nous informe également de nombreuses protestations faisant suite à cette interdiction : « Naturellement, les intéressés ont protesté et la maison Gaumont, en particulier, a déclaré que Judex n’était pas un film policier » . Durant les mois qui suivirent, le maire de Beaune recevra en effet de nombreux courriers de protestation de la part des cinémas beaunois, de la société Gaumont et même d’un des « papas » de Judex, Arthur Bernède, qui écrit : « Permettez moi, en ma qualité d’auteur et de signataire de ce film, de protester respectueusement et cordialement contre une mesure qui, non-seulement porte atteinte à mes intérêts matériels, mais me cause encore et surtout un préjudice moral considérable », il poursuit : « Contrairement à ce que vous pensez, Judex n’est pas un film policier. Il a été au contraire, créé, filmé, publié, dans le but d’opposer aux regrettables productions étrangères que vous combattez si justement, l’exemple d’une œuvre française exaltant les plus hauts sentiments de la justice et de l’honneur ». Il indique également au maire que ce film leur a valu les félicitations de la censure parisienne. Nous comprenons donc, qu’il s’agit d’une décision locale. Malgré ce courrier, rien n’y fait. Le directeur du Petit Parisien pense à un quiproquo, en effet, l’un des épisodes de Judex s’intitule Le Moulin tragique, or, un film portant le même nom est également interdit de diffusion, le conseil confond-t-il les deux œuvres ? Aucune réponse n’est apportée à cette lettre, et plus étonnant, malgré ces courriers, le maire met en place un arrêté le 5 avril 1917 qui confirme cette interdiction de diffusion. L’administrateur du Petit Parisien écrit également au préfet de la Côte-d’Or (l’interdiction touchant également Dijon) : « Le sujet tout entier ne comporte pas un seul assassinat, pas une effraction, pas une idée malsaine, les héros sont des êtres absolument normaux », Benoit Lévy, producteur et réalisateur français, écrit également au préfet de Côte-d’Or. Il propose de supprimer les scènes qui pourraient poser problème. L’espoir revient pour les partisans de Judex lorsque qu’une commission extra-municipale est mise en place en août 1917 afin de visionner à nouveau le film et de prendre une décision définitive. Voici ce que nous pouvons lire dans le rapport : « A la suite de cette représentation, la commission a décidé qu’en raison des actes criminels et délictueux qui sont reproduits surtout dans le 2e épisode, il n’y avait pas lieu de demander à M. Le Maire de rapporter son arrêté qui a interdit la représentation de Judex »

Source : Archives municipales de Beaune. RIV § 8 n°2 : Cinéma Familia