Règlement de comptes chez les compagnons

La vie chez les compagnons serruriers et horlogers de René Richet fut mouvementée en cette année 1733. L’ambiance entre les compagnons n’est pas bonne et l’un d’entre eux en particulier se fait souvent remarquer. Voici les témoignages des habitants et voisins ayant assisté aux différentes bagarres entre compagnons :

Mercredi 8 juillet 1733 : Vers 19h00, plusieurs témoins entendent du bruit dans la rue et voient la femme de René Richet, maître serrurier et horloger, dire à son mari que son garçon horloger venait de l’insulter. Un autre compagnon serrurier de René Richet confirme et ajoute que l’horloger ne s’est pas contenté de le frapper lui, mais qu’il s’en est pris aussi à la maitresse. L’horloger, présent sur les lieux, s’énerve et frappe le compagnon serrurier, qui riposte par un coup de poing sur l’œil et un autre dans l’estomac, avant de le repousser dans le ruisseau. René Richet explique à Jean Segaut, l’un des témoins présents, que cet horloger lui est nécessaire « parce qu’il avait entrepris des ouvrages pour lui qu’il fallait qu’il finit », et qu’il était obligé de le garder malgré son mauvais comportement.

René Richet se confie quelque temps plus tard à Claude Taveault, contrôleur des actes des notaires de la ville de Beaune, qui vit dans la même rue et a été témoin de la scène. Il lui dit qu’il est bien malheureux d’avoir chez lui un compagnon horloger qui ne peut souffrir les autres. Il souhaite fort en être débarrassé, mais ce compagnon est « d’un tel esprit que lorsqu’on le met dehors par une porte il rentre par une autre ».

Vers 19h30, un autre témoin croise la femme de René Richet qui lui raconte que deux compagnons de son mari se sont battus contre un troisième, lui faisant une plaie considérable sur le sommet de sa tête, « et que le sang qui lui était sorti lui avait couru tout le visage ». Au sujet de la querelle, la femme Richet lui explique que les deux compagnons serruriers ont puni le compagnon horloger parce qu’il ne voulait pas travailler. Une femme a par la suite vu passer la veuve Lafontaine (la belle-mère de René Richet), qui portait de l’eau de vie dans un gobelet pour laver la plaie sur la tête du compagnon horloger.

Jeudi 9 juillet 1733 : Etienne Lenoir, vinaigrier de Beaune, voit entre quatre et cinq heures du soir la femme de René Richet à la porte de la maison de sa sœur, lui disant que les compagnons de son mari se battent comme des malheureux. Continuant son chemin, il passe devant la maison de René Richet et aperçoit la veuve Lafontaine en pleine dispute avec les compagnons.

Vendredi 10 juillet 1733 : François Tainturier, recteur d’école, voit René Richet dire à l’un de ses garçons horlogers qu’il n’a plus besoin de lui et qu’il peut partir. Le garçon lui répond alors qu’il est un honnête homme et qu’il travaillera bien. Il les a vus rentrer dans la maison, et a ensuite entendu une dispute éclater à l’intérieur.

Après trois jours de bagarre et de disputes, la situation n’a pas l’air de s’améliorer entre les compagnons de René Richet. Le drame qui va suivre le lendemain viendra malheureusement le confirmer.

Nous sommes le samedi 11 juillet1733. Denis Manière, marchand-boucher à Beaune, l’ignore encore, mais il va devenir le principal témoin d’un meurtre :

Vers 21 h, il sort de la maison de la veuve Girardelet, et décide de faire le tour du fossé qui est entre les portes Madeleine et Bretonnière.

« En faisant ledit tour il eu besoin de faire ses nécessités et s’appuya à cet effet contre l’un des murs de la ruelle appelée de derrière Clugny, et tandis qu’il était dans cette situation, deux autres hommes […] dont l’un avait un bonnet et un autre une veste blanche […], passèrent précipitamment et en courant depuis la dite ruelle où ayant fait environ cent cinquante pas ils se mirent à crier : « ha chien te voici donc » et en même temps frappèrent celui à qui ils parlaient ».

Ayant fait quelques pas dans la ruelle, Manière entend les deux hommes parler doucement en venant vers lui, « mais n’étant pas à cinquante pas de distance, une pipe qu’il avait à la bouche l’ayant empêché de cracher, il lâcha un crachat, quoique assez doucement mais néanmoins qui fut entendu par ceux qui venaient à lui, ce qui les obligea à rebrousser chemin pour rentrer dans la ville par une autre voie. »

Ayant attendu « jusqu’à neuf heure et demi sonnées, mais tout étant calme il reprit le chemin par lequel il était sorti de la ville, et retourna dans sa maison par ladite porte madeleine, et ne rencontra personne en chemin qu’une fille, ou femme, boiteuse qui était soutenue par un garçon qu’il ne connu ni l’un ni l’autre ».

Le lendemain, dimanche 12 juillet 1733, le cadavre d’un compagnon horloger est retrouvé dans le fossé qui borde la ruelle derrière Clugny. Il est exposé dans l’auditoire de l’Hôtel de Ville, afin que toute la population puisse venir le voir et éventuellement le reconnaître. Personne ne le reconnait formellement mais beaucoup pensent qu’il s’agit du compagnon horloger de René Richet, qui n’est pas rentré depuis la veille et dont personne n’a de nouvelles. Le jeune homme est connu pour être querelleur, bagarreur, peu fiable et fainéant. Il s’est trouvé au cœur de plusieurs rixes les jours précédents et de nombreuses personnes ont envie de lui régler son compte, notamment les apprentis serruriers travaillant chez son maitre.

Mercredi 15 juillet, Louis Routy, procureur syndic de la ville de Beaune, dépose une plainte « contre certains quidams accusés d’avoir assassiné un compagnon horloger ». Vaucoret, sergent de mairie, contrôlé par Claude Taveault, entendent les témoins les jours suivants.

Nulle part les noms des coupables ne sont mentionnés. Néanmoins, il est indiqué à plusieurs reprises que les deux compagnons serruriers de René Richet sont en prison. Cette information, ainsi que le comportement bagarreur du compagnon horloger disparu, nous incitent à penser que les deux serruriers, excédés, ont perdu patience et tué l’horloger.

Archives municipales de Beaune, fonds ancien carton 51 cote 95.