Une mort bien mystérieuse : crime ou suicide ?

Ce jour du 22 septembre 1872, le commissaire de police rapporte une affaire bien étrange : celle d’un homme retrouvé mort au faubourg Saint-Jacques, près du pont du chemin de fer.

Au matin du 21 septembre, Pierre Gilles, vigneron beaunois habitant au faubourg Saint-Nicolas, et son fils se rendent dans les champs en « suivant le chemin qui passe pour le pont du chemin de fer au faubourg Saint-Jacques ». Sur leur route, ils aperçoivent un homme, allongé sur le dos, ne donnant visiblement aucun signe de vie. En s’approchant, ils découvrent que l’homme est sérieusement blessé à la tête, une marque de coup de feu situé sur la tempe, et un revolver à ses côtés. Sans plus attendre, Pierre Gilles aidé de son fils transportent l’homme aux Hospices. Malgré les soins prodigués par deux médecins, il est déclaré décédé « sans avoir recouvré connaissance ». Le commissaire, auquel a été rapportée l’affaire, mène l’enquête et découvre que l’homme décédé est un certain Monsieur Lorentz, âgé de 30 à 32 ans, voyageur d’une maison de commerce vendant des fleurs artificielles. Il se trouve que, le matin du 20 septembre, ce dernier a pris une chambre à l’hôtel du Chevreuil. Toute la journée, il a visité quelques clients puis a quitté l’hôtel vers les dix heures du soir, le même jour. Selon le patron de l’établissement, il avait cinq colis avec lui. Les témoins ayant séjourné à l’hôtel au même moment rapportent que le sieur Lorentz portait sur lui « une montre, un porte-monnaie, et un portefeuille renfermant une quantité d’adresses. Le décédé était dépouillé de ces trois objets quand il a été trouvé et n’avait rien sur lui que deux francs dans les poches, deux boutons de manchette de chemise, une boite d’allumettes et un indicateur du chemin de fer ». La disparition de ces objets de valeur fait alors supposer au commissaire qu’il s’agit là d’un assassinat. Celui-ci décide donc de se rendre sur les lieux du décès en compagnie du Procureur de la République, ainsi qu’à la gare de Beaune où il apprend que « la victime s’est présentée au buffet de la gare à dix heures et demie du soir, y a pris un verre de kirsch, a écrit une lettre de quelques lignes et est reparti […] Monsieur le chef de gare nous a fait connaitre que deux billets avaient été délivrés pour le train de 11h20 du soir pour Dijon et que les cinq colis avaient été enregistrés et expédiés. » Le commissaire avance cette hypothèse : « il est donc probable que le sieur Lorentz a été assassiné par le deuxième voyageur » qui lui-même s’est présenté au buffet de la gare aux mêmes heures que le sieur Lorentz. Le commissaire déduit alors qu’ « il l’aura probablement accosté et, comme ils avaient une heure à attendre le départ, ils seront allés se promener jusqu’à l’endroit où le coup a été tiré. » Visiblement, il ne manquait qu’une balle sur les six contenues dans le revolver retrouvé, et la victime a été précisément atteinte à la tempe droite, presqu’à bout portant. Conforté dans son idée d’assassinat, le commissaire dit poursuivre l’enquête jusqu’à l’arrivée d’une dépêche signalant que Monsieur Lorentz est sain et sauf à Dijon en ce 22 septembre 1872. La thèse du crime est écartée mais le mystère demeure sur les conditions de la mort de cet homme, et sur son identité. En effet, le dénommé Lorentz est bien vivant, c’est donc un cadavre sans identité qui fait désormais l’objet de l’enquête.

Source : I1 §11 article 3 n°1 (Morts extraordinaires, rapport spécial n°113)